Bien qu’ils aient contribué à l’enrichissement du patrimoine culturel burundais, plusieurs anciens membres de l’orchestre national traditionnel du Burundi ‘’Nakaranga’’ sombrent aujourd’hui dans la misère. Le piratage de leurs œuvres, l’absence d’accompagnement et l’inaction des institutions les conduisent à pousser un cri du cœur.
« D’autres musiciens interprètent mes chansons comme si elles leur appartenaient et, personne ne réagit. C’est désolant », s’indigne Mathias Ntamijuriro, joueur du berimbeau,« umuduri », un instrument traditionnel. Ancien membre de l’orchestre national traditionnel « Nakaranga » et retraité du ministère de la Culture . Cet homme de 72 ans vit désormais à Gatumba. Il se produit actuellement comme musicien ambulant.
Il raconte que certains artistes reprennent ses chansons sans autorisation. « Je consacre du temps à créer mes morceaux, mais d’autres les pillent sans vergogne. C’est effrayant car, ils agissent en toute impunité alors qu’il existe des organes chargés de les sanctionner. » Il s’interroge sur l’inaction de la justice à leur encontre. Même s’il perçoit une pension, il appelle à l’aide du gouvernement. « La faim dans la vieillesse est une douleur insoutenable », confie-t-il avec amertume. Il ajoute que le vol de ses œuvres ne lui porte pas préjudice à lui seul, mais aussi à toute sa famille.
Des figures légendaires reléguées dans l’ombre
Joseph Torobeka, également retraité du même ministère et ancien membre de l’orchestre national est âgé de 77 ans. Il retrace son parcours musical, les tournées effectuées et les festivals auxquels ils ont participé. « Nous ne savions jamais ce que rapportait le chef de délégation. Il rentrait, rédigeait son rapport et nous recevions notre salaire mensuel », raconte-t-il avec prudence. Selon lui, ils ont produit plus de trois cents chansons à l’époque .
« Quand on observe notre vie actuelle, on croirait que nous n’avons jamais servi notre pays. Je touche une pension mensuelle de 16 000 FBu et, je suis le seul parmi mes anciens collègues à recevoir ce montant. Les autres perçoivent encore moins », déplore-t-il.
Torobeka fustige également le fait que leurs œuvres soient reprises dans les karaokés, sans qu’eux-mêmes n’en tirent profit. « Nous sommes encore vivants. Pourquoi ne pas nous inviter à les interpréter ? Se produire pour quelqu’un dans l’espoir de recevoir une pièce de 100 FBu est humiliant pour des artistes ayant représenté le Burundi sur la scène internationale. »
Une précarité persistante pour les anciens artistes
« En réalité, la plupart d’anciens musiciens burundais vivent dans des conditions difficiles. Seuls quelques-uns continuent d’être invités à des concerts », regrette Aster Anderson Rugamba, coordinateur de projets à l’Amicale des musiciens du Burundi. Cela s’explique notamment par le non-respect des droits d’auteur et le manque de connaissances de la part de ces artistes sur la distribution de leur musique en ligne.
« Actuellement, l’Amicale s’efforce de retrouver ceux qui ont exploité illégalement les œuvres des autres artistes. Nous avons déjà identifié certains d’entre eux », indique-t-il. Il précise qu’ils travaillent en étroite collaboration avec l’office.

Claudette Mukankuranga, directrice de l’OBDA, appelle les artistes à garder espoir. « Ces anciens musiciens de l’orchestre national traditionnel qui se plaignent du plagiat de leurs œuvres doivent rester confiants. Nous œuvrons jour et nuit pour qu’ils puissent jouir de leurs droits. Et, selon la loi, même après 50 ans, leurs ayants droit peuvent également bénéficier des redevances. »
Elle affirme que la collecte des redevances se poursuit malgré la résistance de certains utilisateurs. « Nous continuons à percevoir ces redevances auprès des utilisateurs d’œuvres littéraires et artistiques même si certains refusent de payer. Nous prenons toutes les dispositions nécessaires pour les y contraindre. » Toutefois, elle ne donne pas de date précise pour la redistribution, évoquant simplement les défis auxquels l’Office fait encore face. « Dès que l’Office sera prêt, nous en informerons les artistes », promet-elle.
Honneur aux artistes
Ntamijuriro appelle à une reconnaissance accrue des musiciens qui ont représenté le pays. « La fin de carrière de certains artistes ayant honoré la nation est tragique. » Il invite les jeunes artistes à exiger le respect de leurs droits et sollicite un appui fort de la part des autorités. « Notre génération s’éteint et nous ne souhaitons à aucun musicien de subir le même sort. Le droit d’auteur devrait leur être garanti. » Pour lui, la reconnaissance de ce droit permettrait à ces artistes de contribuer pleinement à la vision du pays pour 2060.
Bien que les redevances ne soient pas encore distribuées, Torobeka estime que l’État aurait pu créer un centre dédié à l’apprentissage des instruments traditionnels et les engager comme formateurs. « La jeune génération ignore beaucoup de choses. On pourrait leur enseigner les « ibicuba’’ ou les « amazina’’, éléments essentiels de notre culture », suggère-t-il. Il insiste sur l’urgence d’agir pour éviter la disparition de ce pan du patrimoine burundais.
Bérénice Irumva, artiste burundaise spécialisée dans la musique du monde aux accents traditionnels, encourage ses pairs à se battre pour leurs droits. « Les droits ne se mendient pas, ils se revendiquent. Ce n’est pas en se lamentant qu’ils obtiendront justice », affirme-t-elle. Elle insiste sur le fait qu’un artiste peut vivre de son art. Selon elle, les chansons de ces anciens membres de l’orchestre national valent une fortune. « Ils devraient relire les contrats qu’ils ont signés à l’époque et intenter des actions en justice contre ceux qui exploitent leur travail sans scrupule. » Elle souligne qu’ils peuvent monétiser leur musique, largement appréciée, de multiples façons.
Elle appelle également à l’application effective des circulaires adoptées en faveur des musiciens. « C’est navrant de constater qu’au Burundi, on écoute nos chansons gratuitement. Il n’existe pas de partenariat avec des plateformes numériques susceptibles de rémunérer nos œuvres. » Elle ajoute que l’Office burundais des droits d’auteur et droits voisins (OBDA) collecte régulièrement les redevances, mais qu’il ne les distribue pas encore, faute d’un logiciel adapté.
« À ceux qui reprennent les œuvres d’autrui sans son consentement, je rappelle que la loi burundaise protège les droits d’auteur. Malheureusement, de nombreux artistes l’ignorent encore », souligne-t-elle. Elle exhorte chaque musicien à enregistrer ses créations à l’OBDA pour assurer leur protection et garantir leurs droits.
Mukankuranga, directrice de l’OBDA en profite pour rappeler à tous les artistes de s’enregistrer auprès de l’OBDA afin de ne pas manquer leurs redevances. « À ce jour, seulement 367 artistes sont enregistrés dans différents domaines – musique, cinéma, littérature – pour un total d’environ 2 495 œuvres. Pour faire valoir ses droits, tout artiste burundais doit enregistrer ses œuvres à l’OBDA afin d’en assurer la protection. »
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