Vendredi 09 mai 2025

Économie

Le secteur caféier au bord du gouffre

11/04/2025 et Commentaires fermés sur Le secteur caféier au bord du gouffre
Le secteur caféier au bord du gouffre
Un champ de caféiers

La campagne café 2024-2025 s’enlise dans une crise sans précédent qui menace la stabilité financière des exportateurs et l’avenir de la filière. Au cœur des accusations : l’Office pour le Développement du café au Burundi (Odeca). Sa gestion est pointée du doigt pour son manque d’expertise et de concertation.

La campagne café 2024-2025 traverse une période de turbulences marquée par des difficultés de commercialisation. Selon Serges Havyarimana, président de l’Intercafé, les problèmes trouvent leur origine dans la gestion de l’Odeca. Il fait savoir que deux voies de commercialisation sont en place au Burundi, à savoir la vente « directe de gré à gré » et la vente « par enchères ».

La campagne en cours a démarré sous de mauvais auspices après que l’Odeca ait invalidé tous les contrats signés avant l’arrivée de la nouvelle équipe dirigeante et de la commission de supervision de la filière café, de la production à la commercialisation, mise en place par le président Evariste Ndayishimiye. Il regrette que cette décision ait plongé les acteurs du secteur dans l’incertitude. « De nombreux acheteurs ont annulé leurs contrats.

En raison des retards importants dans leurs livraisons, d’importantes quantités de café restent invendues », souligne-t-il en effet. Il insiste sur le fait que cette situation met en péril la stabilité financière des exportateurs, incapables d’honorer leurs engagements bancaires. « Il y a aussi un risque pour le pays en raison du non-respect des contrats », avertit-il.

L’équipe dirigeante de l’Odeca, mise en place en mai 2024, est toujours en fonction. Mais, selon le président de l’Intercafé, la situation reste critique.

Une absence de solutions et un manque de dialogue

M. Havyarimana insiste sur le fait que la crise résulte d’une mauvaise gestion et d’un manque de concertation avec les acteurs du secteur. « Beaucoup de difficultés sont liées au refus des contrats par l’Odeca sans solution alternative. Aujourd’hui, entre 50 % et 60 % des stocks de café restent invendus ». Il pointe du doigt un déficit de compréhension du secteur café par les autorités compétentes : « Il y a une mauvaise compréhension du monde du café et de sa commercialisation par les autorités compétentes. Il n’y a pas de dialogue entre les acteurs étatiques et privés. »

Des opérateurs privés du secteur dénoncent également la négligence de l’agence de l’Office burundais des recettes (OBR) à Kayanza à travers des délais de chargement excessifs. « Des camions sont immobilisés jusqu’à dix jours faute d’agents de l’OBR disponibles. C’est catastrophique », s’indignent-ils.

Un opérateur privé du secteur qui préfère garder l’anonymat dénonce des dysfonctionnements majeurs dans la gestion de la campagne café 2024-2025. Selon lui, la situation résulte d’un manque d’expertise et de coordination entre les nouvelles autorités en charge du secteur. Il rappelle qu’en mai 2024, lors d’une réunion tenue à Mwumba en province de Ngozi à l’intention de tous les intervenants dans le secteur café, le président de la République avait déclaré que cette année sera, une année « témoin » et a mis en place une nouvelle équipe à la tête de l’Odeca avec un seul objectif : valoriser la qualité du café burundais.

Mais, selon lui, la mise en œuvre de cet objectif a été marquée par une mauvaise compréhension du secteur. « La commission présidentielle ne maîtrise rien au marché du café et la direction de l’Odeca est tiraillée entre deux orientations différentes », critique-t-il. Il dénonce la manière dont les contrats ont été résiliés. Ce qui a mis en péril l’ensemble du secteur. « Nos contrats ont été annulés brutalement, sans concertation. Pourtant, nous sollicitons des crédits auprès des banques commerciales pour payer les caféiculteurs et sécuriser nos prix sur la bourse de New York », explique-t-il.

Et de détailler que « la bourse fluctue énormément : aujourd’hui, le prix peut être de 1 dollar. Demain, il peut grimper à 5 dollars. Or, le Burundi exporte plus de 90 % de son café sous forme conventionnelle. Ce qui exige de respecter trois critères majeurs : la qualité, la quantité et la cotation de la bourse de New York »

Une affaire d’arnaque

L’opérateur anonyme ajoute que la situation a été aggravée par une affaire d’arnaque qui a coûté cher au secteur. Un acheteur européen, un certain Gonzalez, aurait promis d’acheter le café burundais à 8 dollars le kilo, un prix bien au-dessus du marché. Séduits par cette offre, les responsables du secteur ont suspendu toute exportation entre juillet et novembre 2024, espérant une transaction avantageuse.

Mais, l’homme s’est révélé être un imposteur. « Il a abusé de la confiance des autorités en se faisant passer pour un acheteur privilégié du gouvernement burundais », dénonce l’opérateur. « Il est même allé voir nos clients habituels en prétendant qu’il était désormais le seul intermédiaire autorisé par l’État pour vendre le café du pays. » Il précise que « de juillet à novembre, aucun café n’a été exporté sous prétexte qu’ils avaient trouvé un acheteur européen prêt à payer 8 dollars le kilo. Mais, cet acheteur s’est révélé être un escroc.» Lorsque la supercherie a été découverte, il était déjà trop tard.

Le retard dans les livraisons a provoqué la colère des acheteurs internationaux qui ont commencé à se détourner du café burundais. « Nous avons perdu la confiance de nos partenaires. Aujourd’hui, entre 50 et 60 % de notre production reste invendue », rappelle la source. Elle critique sévèrement la gestion faite par la commission présidentielle. « Elle manque d’expérience et ne comprend ni le fonctionnement du marché du café ni les mécanismes de vente », fustige-t-il.

Et de s’indigner qu’« après les injonctions du président, la commission et l’Odeca ont imposé leur propre vision en déclarant qu’ils ont besoin d’un meilleur prix. Mais, ils n’ont pas pris en compte la réalité du marché ». Selon lui, les blocages imposés par la commission et l’Odeca ont eu des conséquences désastreuses. « Ceux d’entre nous qui avaient signé des contrats lorsque le prix était à 4 dollars ont été empêchés d’honorer ces engagements alors que ces contrats garantissaient déjà un prix de 5 ou 6 dollars ».

Trop tard

Il revient sur l’ampleur des dégâts causés par cette gestion. « Nous aurions pu écouler toute la production de cette campagne et mieux nous préparer pour celle de 2025-2026 où les prix atteindront effectivement 8 dollars grâce à la bourse.

Mais, vendre à ce prix pour la récolte actuelle est impossible car le café vieillit comme n’importe quelle autre culture ». Il estime que les autorités ont pris conscience de leur erreur trop tard. « Après avoir été trompées par Gonzalez, elles ont fini par débloquer la situation, mais il était déjà trop tard », regrette-t-il. Et de faire observer qu’« à cause de ce retard, nous avons raté les livraisons et perdu la confiance de nos clients. Nous ne savons même pas si nous pourrons vendre lors de la prochaine campagne ».

L’opérateur privé alerte également sur un nouveau défi de taille. « Avec la perte de confiance des acheteurs, ces derniers risquent de nous imposer désormais d’acheminer le café jusqu’au port de Dar-es-Salam en Tanzanie. Ce qui représente des coûts supplémentaires » avant de prévenir qu’ils ne savent même pas « si le gouvernement accepterait cette exigence. Pire encore, tout client qui viendrait acheter ici risque de dévaluer notre café, car il redoute les risques liés aux lenteurs administratives. Il pourrait nous imposer une décote de 2 dollars par kilo. Ce qui serait catastrophique ».

Lui aussi pointe du doigt l’Odeca pour son manque de concertation avec les professionnels du secteur. « Leur problème majeur est qu’ils n’associent pas les experts chevronnés du café. Nous assistons à une gestion hasardeuse qui met en péril toute la filière ». Iwacu a tenté de contacter l’administrateur directeur général de l’Odeca, Ir. Jean de Dieu Niyindabira afin d’obtenir des éclaircissements sur les préoccupations des acteurs du secteur.

Hélas, il n’a pas souhaité s’exprimer officiellement. Il a toutefois indiqué qu’il organisera une conférence de presse pour les journalistes dans les jours à venir.

Iwacu a également contacté Libérat Mpfumukeko, président de la Commission de supervision de la filière café de la production à la commercialisation. Il a indiqué que « M. Serge d’Intercafé sait comment nous joindre. Il nous soumettra ses doléances en face car il a notre contact » Et de nous « conseiller vivement de parler avant tout aux premiers concernés, c’est-à-dire l’Odeca »

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